Développés pour la recherche puis détournés sur le marché noir 

Les cannabi­noïdes de syn­thèse, ou néo­cannabi­noïdes sont des sub­stances chim­iques arti­fi­cielles conçues pour imiter les effets du THC, le prin­ci­pal com­posé psy­choac­t­if du cannabis. Ils ont été créés en lab­o­ra­toire pour étudi­er les effets du cannabis, avant d’être détournés vers le marché noir. Con­traire­ment au cannabis naturel qui con­tient de nom­breux cannabi­noïdes dif­férents, les pro­duits syn­thé­tiques con­ti­en­nent générale­ment une ou quelques molécules arti­fi­cielles spécifiques.

Ces pro­duits sont par­ti­c­ulière­ment dan­gereux car leur puis­sance et leur com­po­si­tion imprévis­i­bles les ren­dent beau­coup plus risqués que le cannabis naturel.

D’où viennent les cannabinoïdes de synthèse ?

Créés pour faire avancer la recherche médi­cale et dévelop­per de nou­veaux traite­ments con­tre la douleur, les cannabi­noïdes de syn­thèse ont été détournés au début des années 2000 par des réseaux crim­inels qui ont exploité les for­mules pub­liées dans les revues sci­en­tifiques. Cette trans­for­ma­tion d’outils de recherche en drogues récréa­tives dan­gereuses représente l’un des détourne­ments les plus dra­ma­tiques de la sci­ence mod­erne, créant une crise de san­té publique que leurs inven­teurs n’au­raient jamais pu anticiper.

Brève histoire des cannabinoïdes de synthèse 

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Des débuts scientifiques légitimes

Tout com­mence en 1942 avec les pre­miers essais pour repro­duire le cannabis en lab­o­ra­toire, les pre­miers cannabi­noïdes de syn­thèse sont ain­si créés.1 Mais c’est en 1994 que l’his­toire bas­cule : John W. Huff­man, un chercheur améri­cain, crée plus de 400 cannabi­noïdes syn­thé­tiques (la série « JWH ») pour com­pren­dre com­ment fonc­tion­nent les récep­teurs cannabi­noïdes dans notre corps. Son but ? Dévelop­per de nou­veaux médica­ments con­tre la douleur.2 3

À un usage détourné et dangereux

En 2006, Huff­man décou­vre avec hor­reur que des fab­ri­cants malveil­lants ont récupéré ses for­mules sci­en­tifiques pub­liées pour créer des drogues. Ces mélanges d’herbes, ven­dus sous des noms comme « Spice » ou « K2″, explosent sur le marché, on en trou­ve même dans les sta­tions-ser­vice.4

Pourquoi un tel suc­cès ? La rai­son est qu’ils n’é­taient pas illé­gaux car ne con­te­naient pas de THC. Cela a mené a un résul­tat cat­a­strophique : des vagues d’over­dos­es mas­sives car con­traire­ment au cannabis naturel, ces sub­stances syn­thé­tiques peu­vent tuer…

Les lég­is­la­tions des pays con­cernés ont pour la plu­part changé afin d’interdire les cannabi­noïdes de syn­thèse impliqués. Cela a fini par suf­fire à dis­suad­er les com­pag­nies pro­duisant ces mélanges d’herbes, mais pas les fab­ri­cants sur inter­net. Des cannabi­noïdes de syn­thèse sont donc encore régulière­ment inter­dits, tan­dis que d’autres sont créés pour rem­plac­er les anciens. Il s’agit un jeu du chat et de la souris qui dure depuis plus de 20 ans… Désor­mais, on retrou­ve surtout des cannabi­noïdes de syn­thèse ajoutés à du chan­vre légal, dans des liq­uides pour cig­a­rettes élec­tron­iques et dans des pré­pa­ra­tions culinaires.

Connus sous de nombreux noms

Bien qu’ils soient sou­vent appelés cannabi­noïdes de syn­thèse, on devrait plutôt par­ler de néo­cannabi­noïdes. En effet, il est pos­si­ble de repro­duire n’importe quelle molécule de manière syn­thé­tique, y com­pris le THC par exem­ple.5 Dans la pra­tique, chaque cannabi­noïde pos­sède un nom chim­ique pro­pre, avec une abrévi­a­tion dédiée. De façon générale, une à deux nou­velles molécules sont mis­es sur le marché par semaine.6

Dans les années 2010, les gens par­laient de « Spice » ou « K2 », mais ces mar­ques n’existent plus. En 2024, les ter­mes courants sont :

  • « noids » (du mot anglais cannabi­noids) 
  • « PTC » (pour « Pète-Ton-Crâne », en liq­uide pour e‑cigarettes) 
  • « syn­thé » (par exem­ple « beuh syn­thé » veut dire « fleurs de cannabis avec des néo­cannabi­noïdes ») 

On voit ain­si que la nomen­cla­ture change très vite selon les straté­gies de vente, qui sont en con­stante évo­lu­tion. 

Effets et risques

Les cannabi­noïdes de syn­thèse regroupent une grande var­iété de sub­stances, cha­cune ayant des effets et des risques spé­ci­fiques. Toute­fois, les témoignages des per­son­nes qui en con­som­ment et les rap­ports sci­en­tifiques met­tent en évi­dence cer­taines ten­dances com­munes.7

Effets fréquemment rapportés

  • Amélio­ra­tion tem­po­raire de l’humeur ou sen­sa­tion d’euphorie
  • Anx­iété, agi­ta­tion et ner­vosité 
  • Con­fu­sion, désori­en­ta­tion 
  • Hal­lu­ci­na­tions 
  • Yeux rouges 
  • Nausées voir vomissements
  • Symp­tômes psy­cho­tiques (para­noïa, perte de con­tact avec la réalité)
  • Aug­men­ta­tion du rythme car­diaque et de la pres­sion artérielle (pou­vant aller jusqu’à un arrêt car­diaque) 
  • Dépen­dance 

Les effets ressem­blent à ceux du cannabis naturel, mais sont sou­vent beau­coup plus intens­es et imprévis­i­bles. La tolérance s’installe rapi­de­ment, ce qui pousse certain·es usager·es à aug­menter les dos­es. Beau­coup rap­por­tent ne plus ressen­tir les effets du cannabis naturel après avoir con­som­mé ces produits.

Un risque de toxicité élevé

Cer­tains com­posés seraient jusqu’à 500 fois plus puis­sants que le THC pur, aug­men­tant con­sid­érable­ment le risque de sur­dose, de crise car­diaque ou d’accident cérébral.8

Chaque année, plusieurs cen­taines de décès à tra­vers le monde seraient liés à la con­som­ma­tion de ces sub­stances.9

Détecter les cannabinoïdes de synthèse

Mélangés au cannabis, les cannabi­noïdes de syn­thèse sont pra­tique­ment indé­tecta­bles. Act­ifs à dos­es infimes (moins d’un mil­ligramme), ils se dis­sol­vent dans de grandes quan­tités de cannabis bon marché sans laiss­er d’odeur ni de goût. Seules des analy­ses de lab­o­ra­toire spé­cial­isées per­me­t­tent de les identifier.

Pour lim­iter les risques, testez tou­jours une quan­tité min­ime de tout nou­veau pro­duit. Cette pré­cau­tion sim­ple peut vous éviter une sur­dose acci­den­telle si le cannabis con­tient ces sub­stances en con­cen­tra­tion élevée.

En cas d’ef­fets inhab­ituels, les ser­vices de drug check­ing pro­posent des analy­ses gra­tu­ites pour véri­fi­er la com­po­si­tion du pro­duit. Atten­tion : cer­tains pro­grammes n’ac­ceptent que les échan­til­lons ayant déjà provo­qué des effets indésir­ables suspects.

Cadre légal en Suisse et en France

En Suisse, la lég­is­la­tion est claire : tous les cannabi­noïdes de syn­thèse sont inter­dits. La Loi fédérale sur les stupé­fi­ants pro­hibe explicite­ment « les stupé­fi­ants ayant des effets de type cannabique », sauf usage médi­cal stricte­ment encadré.

En France, la régle­men­ta­tion est plus com­plexe et évo­lu­tive. Si la plu­part des cannabi­noïdes de syn­thèse sont classés comme stupé­fi­ants, l’ANSM actu­alise régulière­ment cette liste depuis 2020 pour inté­gr­er les nou­velles sub­stances. Ces mis­es à jour sont con­sulta­bles sur le site de l’a­gence. Le statut légal d’une sub­stance spé­ci­fique néces­site donc une véri­fi­ca­tion au cas par cas.

Peut-on faire un usage médical des cannabis de synthèse ?

Aucun cannabi­noïde de syn­thèse n’est actuelle­ment autorisé en médecine. Le seul exem­ple, le rimon­a­bant (Acom­plia), com­mer­cial­isé dans les années 2000 con­tre l’obésité, a été retiré du marché en 2009 suite à des effets psy­chi­a­triques graves (dépres­sion, anx­iété).10

Des recherch­es se pour­suiv­ent sur le poten­tiel thérapeu­tique de cer­taines molécules syn­thé­tiques, notam­ment pour la douleur et les trou­bles neu­rologiques. Ces études restent toute­fois au stade pré­clin­ique, sans appli­ca­tion validée, con­traire­ment au cannabis médi­cal déjà util­isé en pratique.

  1. Adams, R., Loewe, S., Smith, C. M., & McPhee, W. D. (1942). Tetrahy­dro­cannabi­nol Homologs and Analogs with Mar­i­hua­na Activ­i­ty. XIII1. Jour­nal Of The Amer­i­can Chem­i­cal Soci­ety, 64(3), 694‑697.[]
  2. Huff­man, J. W., Dai, D., Mar­tin, B. R., & Comp­ton, D. R. (1994). Design, Syn­the­sis and Phar­ma­col­o­gy of Cannabimimet­ic Indoles. Bioor­gan­ic & Med­i­c­i­nal Chem­istry Let­ters, 4(4), 563‑566.[]
  3. Dr. John Huff­man Obit­u­ary (2022) — Syl­va, NC — Appalachi­an Funer­al Ser­vices & Cre­ma­to­ri­um. (s. d.). Legacy.com.[]
  4. McCoy, T. (2023, avril 10). How this chemist unwit­ting­ly helped spawn the syn­thet­ic drug indus­try. Wash­ing­ton Post.[]
  5. Bloe­men­dal, V. R. L. J., Van Hest, J. C. M., & Rut­jes, F. P. J. T. (2020). Syn­thet­ic path­ways to tetrahy­dro­cannabi­nol (THC) : an overview. Organ­ic & Bio­mol­e­c­u­lar Chem­istry, 18(17), 3203‑3215.[]
  6. Data Visu­al­i­sa­tions — pub­lic. (s. d.).[]
  7. Wiley, J. L., Maru­sich, J. A., Huff­man, J. W., Bal­ster, R. L., & Thomas, B. F. (2011). Hijack­ing of Basic Research : The Case of Syn­thet­ic Cannabi­noids. Meth­ods report (RTI Press), 2011, 17971.[]
  8. Gatch, M. B., & Forster, M. J. (2019). Cannabi­noid-like effects of five nov­el car­box­am­ide syn­thet­ic cannabi­noids. Neu­ro­Tox­i­col­o­gy, 70, 72‑79.[]
  9. Psy­choac­tive Sub­stances Reg­u­la­tions 2014 (LI 2014/243) (as at 21 April 2016) Con­tents – New Zealand Leg­is­la­tion. (2016, 27 avril).[]
  10. Acom­plia | Euro­pean Med­i­cines Agency (EMA). (2009, 29 jan­vi­er). Euro­pean Med­i­cines Agency (EMA).[]