Un voyage dans le système nerveux

Si le cannabis influ­ence autant l’activité men­tale, c’est qu’il inter­fère directe­ment avec des molécules naturelle­ment pro­duites par l’organisme. Celles-ci agis­sent dans un réseau appelé le sys­tème endocannabinoïde.

Décou­vert il y a une trentaine d’années seule­ment1, on sait aujourd’hui que ce sys­tème par­ticipe à la régu­la­tion d’une mul­ti­tude de fonc­tions cérébrales : mémoire, appren­tis­sage, motric­ité, per­cep­tion de l’anxiété et de la peur2.

Le THC : comprendre l’effet psychoactif du cannabis

Comment le THC agit-il sur le cerveau ?

C’est exacte­ment la ques­tion que les sci­en­tifiques se sont posée lors de la décou­verte du THC en 1964. Il aura fal­lu 26 années de recherch­es pour iden­ti­fi­er le pre­mier récep­teur per­me­t­tant au THC d’altérer le fonc­tion­nement du corps.3 Il fut nom­mé récep­teur CB1 (CB pour CannaBi­noïde et 1 parce qu’il s’agissait du premier).

Les récep­teurs jouent un rôle essen­tiel dans la com­mu­ni­ca­tion entre les cel­lules : ils détectent les sig­naux chim­iques envoyés par d’autres cel­lules et déclenchent une réponse.

On peut se représen­ter un échange entre deux neu­rones comme un port :

Cette analo­gie aide à com­pren­dre le fonc­tion­nement général de la mes­sagerie neu­ronale, même si en réal­ité, chaque récep­teur est sélec­tif, adap­té à quelques types de neu­ro­trans­met­teurs seule­ment. Il existe des cen­taines de récep­teurs et des mil­liers de neu­ro­trans­met­teurs différents.

Le THC, lui, est capa­ble de se fau­fil­er dans les synaps­es, de se faire attrap­er par les récep­teurs CB1 et d’activer cer­tains neu­rones. Mais dans les années 1960, les sci­en­tifiques ne savaient pas encore pourquoi les neu­rones humains pos­sé­daient de tels récep­teurs, alors qu’ils ne pro­duisent pas de THC.

THC et psychoactivité 

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La majorité du THC (Δ‑9-tétrahy­dro­cannabi­nol) présent dans la plante de cannabis est sous forme de THC‑A (A pour « acide »).4 Le THC‑A n’est pas psy­choac­t­if, mais il se trans­forme en THC sous l’effet de la chaleur, de la lumière ou de l’oxygène.4 C’est ce qui se pro­duit lors de la cuis­son, du chauffage ou de la com­bus­tion. Le cannabis « cru » pro­duit donc très peu d’effets. À l’inverse, un excès de chaleur con­ver­tit le THC en cannabi­nol (CBN), beau­coup moins actif.

La teneur en THC varie forte­ment selon les espèces et les pré­pa­ra­tions (fleurs, haschich, huiles, etc.). Par exem­ple, le chan­vre indus­triel con­tient env­i­ron 0,3% de THC, tan­dis que cer­taines var­iétés actuelles en con­ti­en­nent jusqu’à 36%.5

La découverte du système endocannabinoïde

Quelques années après la décou­verte du CB1, la recherche a mis au jour les endo­cannabi­noïdes — du grec endo- (« pro­duits à l’intérieur ») et cannabi­noïdes (« sub­stances proches du cannabis »). Ce sont des com­posés pro­duits naturelle­ment par le corps à par­tir de matières grass­es6, aux effets sim­i­laires à ceux du THC. Les deux prin­ci­paux sont le 2‑AG et l’anandamide.

Ces molécules, ain­si que les enzymes et récep­teurs qui les accom­pa­g­nent, for­ment le sys­tème endo­cannabi­noïde, présent presque partout dans le cerveau et dans de nom­breux organes.7

Après le CB1, un sec­ond récep­teur, le CB2, a été décou­vert. Il est surtout exprimé dans les cel­lules du sys­tème immu­ni­taire, et très peu par les neu­rones.8 Le CB2 est notam­ment impliqué dans les effets anti-inflam­ma­toires du cannabis.9

Les cannabinoïdes : naturels, végétaux ou de synthèse

L’identification de ces récep­teurs a rapi­de­ment révélé un poten­tiel thérapeu­tique. Des chimistes ont alors créé des molécules sim­i­laires au THC, capa­bles d’agir sur les récep­teurs CB1 et CB2 : les néo­cannabi­noïdes. Ces com­posés de syn­thèse ont per­mis de mieux com­pren­dre les effets du cannabis et de mod­uler son action sur l’organisme.

Les grandes familles de cannabinoïdes

  • Phy­to­cannabi­noïdes : présents dans la plante de cannabis.

  • Endo­cannabi­noïdes : pro­duits naturelle­ment par le corps humain et cer­tains animaux.

  • Néo­cannabi­noïdes : conçus en laboratoire.

Par­mi les néo­cannabi­noïdes, cer­taines décou­vertes ont eu des retombées phar­ma­ceu­tiques impor­tantes. Le rimon­a­bant, par exem­ple, a des effets invers­es à ceux du THC et favorise la perte de poids10, mais il a été retiré du marché à cause d’effets psy­chi­a­triques graves.

Sur le marché illé­gal, la créa­tion de ces nou­veaux com­posés a aus­si sus­cité un vif intérêt.

La recherche, en constante évolution

Ces décou­vertes ont per­mis de mieux com­pren­dre la manière dont les cannabi­noïdes inter­agis­sent avec de nom­breuses fonc­tions cérébrales fine­ment régulées. Il reste néan­moins com­plexe et déli­cat de con­cevoir des molécules thérapeu­tiques totale­ment dépourvues d’effets sec­ondaires.11

La recherche, elle, con­tin­ue de pro­gress­er rapi­de­ment : en 2024, plus de 10 arti­cles sci­en­tifiques sur le cannabis sont pub­liés chaque jour.12 Ils abor­dent notam­ment ses appli­ca­tions thérapeu­tiques dans le traite­ment de la douleur, des nausées, de la sclérose en plaques ou encore du dia­bète.13

  1. Crocq, M. (2020). His­to­ry of cannabis and the endo­cannabi­noid sys­tem. Dia­logues In Clin­i­cal Neu­ro­science, 22(3), 223‑228.[]
  2. Lowe, H., Toyang, N., Steele, B., Bryant, J., & Ngwa, W. (2021). The Endo­cannabi­noid Sys­tem : A Poten­tial Tar­get for the Treat­ment of Var­i­ous Dis­eases. Inter­na­tion­al Jour­nal of Mol­e­c­u­lar Sci­ences, 22(17), 9472.[]
  3. Per­twee, R. G. (2006). Cannabi­noid phar­ma­col­o­gy : The first 66 years. British Jour­nal of Phar­ma­col­o­gy, 147(Suppl 1), S163‑S171. []
  4. Moreno-Sanz, G. (2016). Can You Pass the Acid Test ? Crit­i­cal Review and Nov­el Ther­a­peu­tic Per­spec­tives of Δ9-Tetrahy­dro­cannabi­no­lic Acid A. Cannabis and Cannabi­noid Research, 1(1), 124‑130.[][]
  5. Gewe­da, M. M., Majum­dar, C. G., Moore, M. N., Elhen­dawy, M. A., Rad­wan, M. M., Chan­dra, S., & ElSohly, M. A. (2024). Eval­u­a­tion of dis­pen­saries’ cannabis flow­ers for accu­ra­cy of label­ing of cannabi­noids con­tent. Jour­nal of Cannabis Research, 6, 11.[]
  6. Endo­cannabi­noid-metabolis­ing enzymes. (2009). British Jour­nal of Phar­ma­col­o­gy, 158(Suppl 1), S220‑S221.[]
  7. Mack­ie, K. (2005). Dis­tri­b­u­tion of cannabi­noid recep­tors in the cen­tral and periph­er­al ner­vous sys­tem. Hand­book of Exper­i­men­tal Phar­ma­col­o­gy, 168, 299‑325.[]
  8. Van Sick­le, M. D., Dun­can, M., Kings­ley, P. J., Moui­hate, A., Urbani, P., Mack­ie, K., Stel­la, N., Makriyan­nis, A., Piomel­li, D., Davi­son, J. S., Mar­nett, L. J., Di Mar­zo, V., Pittman, Q. J., Patel, K. D., & Sharkey, K. A. (2005). Iden­ti­fi­ca­tion and Func­tion­al Char­ac­ter­i­za­tion of Brain­stem Cannabi­noid CB2 Recep­tors. Sci­ence, 310(5746), 329‑332.[]
  9. Tur­cotte, C., Blanchet, M.-R., Lavi­o­lette, M., & Fla­mand, N. (2016). The CB2 recep­tor and its role as a reg­u­la­tor of inflam­ma­tion. Cel­lu­lar and Mol­e­c­u­lar Life Sci­ences : CMLS, 73(23), 4449‑4470.[]
  10. Leite, C. E., Mocelin, C. A., Petersen, G. O., Leal, M. B., & Thiesen, F. V. (2009). Rimon­a­bant : An antag­o­nist drug of the endo­cannabi­noid sys­tem for the treat­ment of obe­si­ty. Phar­ma­co­log­i­cal Reports : PR, 61(2), 217‑224.[]
  11. Mechoulam, R., & Park­er, L. A. (2013). The endo­cannabi­noid sys­tem and the brain. Annu­al Review of Psy­chol­o­gy, 64, 21‑47.[]
  12. « mar­i­jua­na » Pubmed search. (s. d.). NIH.[]
  13. Nation­al Acad­e­mies of Sci­ences, E., Divi­sion, H. and M., Prac­tice, B. on P. H. and P. H., & Agen­da, C. on the H. E. of M. A. E. R. and R. (2017). Ther­a­peu­tic Effects of Cannabis and Cannabi­noids. In The Health Effects of Cannabis and Cannabi­noids : The Cur­rent State of Evi­dence and Rec­om­men­da­tions for Research. Nation­al Acad­e­mies Press (US).[]